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By Vincent

On 17, juin 2001 | No Comments | In | By Vincent

Le Goût De La Baleine

« Si les abattoirs avaient des murs en verre, tout le monde serait végétarien »

Sir Paul Mac Cartney

 

Faut-il être choqué par ce qui se passe dans le plus grand abattoir à ciel ouvert au monde ?

Chaque été, des baleines-pilotes sont chassées par centaines dans les fjords des Iles Féroé. C’est le Grind, une tradition spectaculaire et sanglante, que des activistes internationaux voudraient faire disparaître pour mettre fin à la souffrance de ces mammifères. Couteaux à la main, les Féringiens dénoncent, quant à eux, l’hypocrisie de ceux qui mangent de la viande sans chercher à voir ce qui se passe derrière les murs des abattoirs et des industries qui polluent les océans.

L’archipel des Iles Féroé est l’un des plus beaux endroits au monde et des moins dangereux. Sauf pour les baleines. Chaque été, plusieurs centaines de globicéphales, mammifères de la famille des dauphins communément appelés baleines-pilotes, sont tués dans les fjords verdoyants des Îles Féroé.

Cette tradition du « Grind » remonte au temps où les habitants de ces îles volcaniques n’avaient pas d’autre ressource pour se nourrir. Sans cette viande venue de la mer, le peuple féringien aurait disparu. Aujourd’hui, l’argument de la subsistance n’est plus à l’ordre du jour. Les supermarchés de l’archipel foisonnent de nourriture importée. Dont du kangourou tout droit venu d’Australie.

Certaines associations, Sea Shepherd en tête, dénoncent ce qu’elles considèrent comme “un massacre d’un autre âge doublé d’un divertissement des plus macabres”. Lors de plusieurs séjours sur place, les bénévoles du Capitaine Paul Watson n’ont pas hésité à risquer leur vie pour sauver ces mammifères des lances des baleiniers.

Les baleines sont le dernier maillon de la chaîne alimentaire marine. Ils incarnent à leur dépens l’état des océans pollués par nos activités industrielles. Leur chair est cent fois plus contaminée en mercure que celle des poissons.

Une grande partie des 50 000 Féringiens continue pourtant de manger ce plat de fête malgré les risques pour leur santé. Difficile de renoncer à une nourriture gratuite, qui fait la fierté de toute la communauté. Une façon d’honorer le passé mais aussi de dénoncer le spécisme et l’hypocrisie alimentaire de la majorité de ceux qui les critiquent.

Parmi les arguments phares des baleiniers, le fait de manger des animaux qui n’ont pas été élevés en batterie. Mais leur suffit-il de nous renvoyer à nos abattoirs pour continuer de perpétuer leur tradition ?

Aujourd’hui la vie d’une baleine vaut-elle plus que la vie d’un mouton ou d’un bœuf ? Faut-il plus regretter sa mort que celle des animaux que l’on retrouve dans les barquettes aseptisées de nos supermarchés, et dont les conditions de vie et de fin de vie sont souvent inhumaines ?

 

Lorsque j’ai entendu parler pour la première fois des Iles Féroé et de la tradition du Grind il y a quatre ans, j’étais loin de me douter que je pourrais comprendre cette pratique. Et relativiser sa barbarie en me nourrissant d’une réflexion que je ne voulais pas avoir à l’époque.

Je n’étais pas spécialement porté sur la cause animale même si je devenais de plus en plus sensible à leur situation. La rencontre avec ma femme végétarienne mettant sur le même pied d’égalité êtres humains et animaux m’influençait dans ce sens. La question de l’alimentation et de sa provenance commençait alors à devenir dans ma vie de plus en plus présente à chaque repas.

Pourquoi manger de la viande si souvent ? Pourquoi tuer pour manger alors que ma femme se porte comme un charme sans avoir la mort d’un seul animal sur la conscience ? Fallait-il croire tous les médecins et scientifiques qui ne jurent que par les protéines animales ?

J’ai été marqué, comme beaucoup de gens, par les images filmées clandestinement dans les abattoirs. Etais-je prêt à regarder en face la réalité de la provenance de ce steak ou de cette tranche de jambon dans mon assiette sachant que je serais incapable de tuer l’une de ces bêtes de mes propres mains ? Méritais-je ce repas sans vouloir regarder la mort en face ? En tant que réalisateur et citoyen, j’étais pourtant révolté de la violence de ce monde mais sans jamais réellement chercher à comprendre celle imposée aux animaux.

En me rendant aux Iles Féroé aux côtés de Sea Shepherd en 2014, je n’imaginais pas un instant avoir les opportunités de réaliser de façon aussi approfondie le film que je souhaite faire aujourd’hui. Ce film sera un document rare.

Tout d’abord pour l’accès privilégié que j’ai auprès des baleiniers mais aussi auprès de ceux qui s’y opposent. Et cette possibilité de faire se croiser les regards sur cette tradition et sur notre façon de nous nourrir.

Rare aussi par l’occasion unique d’avoir pu pénétrer dans un  abattoir à ciel ouvert  et d’assister à un Grind au plus proche de ceux qui y participent. Un moment spectaculaire et intense qui bouleverse et ne peut laisser indifférent, une plongée exceptionnelle au cœur d’une tradition tourmentée et décriée. Mais aussi l’expression la plus extrême et la plus visible de la mise à mort d’animaux pour leur chair.

On m’a souvent demandé si j’étais « pour » ou « contre » la chasse à la baleine. Comme s’il fallait être absolument dans un camp ou dans un autre. Comme s’il était aussi simple de répondre de la sorte, sans s’interroger avant sur notre propre rapport à la nourriture, aux animaux, à la vie. Le Grind est en tout cas un sujet passionné qui ne laisse pas indifférent.

Que répondre ? Quatre ans après mon premier séjour aux Féroé, je ne m’alimente plus de la même façon. Je suis désormais plus attentif à ce que je mange. Je ne suis pas devenu complètement végétarien mais j’ai pris conscience que je ne souhaite pas manger de la viande à tout prix. Et si je ne me réjouis pas de la mort de ces baleines, je trouve leur sort plus enviable que celui des vaches et autres cochons tués dans nos abattoirs, loin de nos critiques et de notre indignation.

Je souhaite que ce film soit sans faux-semblants. Que les questions et les réponses apportées ou soulevées soient aussi stupéfiantes et saisissantes que les images du Grind. Pour que la raison ne se laisse pas distraire par le spectaculaire, par le sang éparpillé. Pour que les baleines soient vraiment respectées comme elles devraient l’être. Le Grind n’est certainement pas le plus grand problème pour elles. Nos besoins toxiques de surconsommation, la pollution de nos océans qui en découle, la surpêche et le changement climatique sont bien plus dangereux.

Il ne s’agit pas de faire un film militant sur la condition animale ni de porter un jugement sur le fait d’être végétarien, végétalien, flexitarien » ou carnivore. Manger ou pas de la viande peut éventuellement influencer notre regard sur la question. Il appartient à chacun d’entre nous de se questionner et de trouver ses propres réponses en son âme et conscience, à la lumière de la réalité de ce qui se passe aux Iles Féroé et de sa propre considération pour la vie animale.

LE PROJET PLUS EN DETAIL :

Le Grind n’est que la partie visible de l’iceberg de réalités que beaucoup d’entre nous refusent de voir.

Partout dans le monde, la globalisation menace les cultures indigènes ou locales. Beaucoup se rattachent à ce qu’ils peuvent, à ce qui reste de leur identité culturelle singulière, avec encore et toujours plus de détermination. Les Iles Féroé sont un pays moderne et riche qui ne manque de rien. Tuer des baleines n’est pas indispensable aux Féringiens.

A y regarder de plus près, leur tradition n’est-elle pas une forme archaïque de ce qui se passe chez nous, dans nos abattoirs ? Comme un effet miroir dépoli réfléchissant nos pratiques industrielles modernes et notre frénésie de manger toujours plus de viande ? A la différence que les baleiniers ne se cachent pas derrière des murs et des barbelés.

Les associations de protection des animaux comme L214 entrent régulièrement dans les abattoirs pour filmer la cruauté et le manque d’humanité envers ces vies qui finiront dans nos assiettes. Difficile de dire aujourd’hui que nous ne savons pas comment y sont traités nos cochons, veaux et autres poulets. Les scandales récurrents tels celui dit “de la viande de cheval” nous rappellent cruellement que nous ne maîtrisons pas toujours l’origine des viandes de nos supermarchés.

Le spécisme est aussi régulièrement au cœur des discussions et des débats. Le cas du Grind s’inscrit en partie dans cette réflexion. L’homme serait quoi qu’il arrive supérieur aux animaux. La vie des baleines a-t-elle plus d’importance que les animaux de nos fermes ? Faut-il sauver les baleines sans penser à sauver aussi les autres animaux ? C’est en tout cas l’un des arguments principaux avancés par les Féringiens avec celui de tuer de leurs propres mains des animaux ayant vécus libres toute leur existence.

Tout aussi considérable est l’impact sur notre planète et sur l’écosystème marin. Les Féringiens, en important une grande partie de leur nourriture, savent qu’ils font partie de cette mondialisation qu’ils critiquent. Les ferries qui transportent leurs biens de consommation polluent les océans. Ils savent que la préservation de leur tradition ne peut tenir sur la seule argumentation du « manger et consommer local ». Mais selon eux, le débat a au moins le mérite d’exister dans leur pays.

La pollution engendrée par nos activités industrielles dans les océans reste pour les baleines une cause de mortalité bien plus importante que le Grind. Selon les activistes locaux, elle est la raison la plus probable pour laquelle le pays mettra fin à sa tradition. Pour le moment, les baleiniers continuent à manger de la viande empoisonnée comme un acte de résistance. Mais si un jour ils arrêtaient de tuer les baleines à cause de leur toxicité accrue, ils saisiraient l’occasion d’envoyer un message très fort au reste des autres pays occidentalisés qui n’arrivent pas à s’entendre pour mettre fin à la pollution de notre planète.

Tout commence pour moi en 2014 quand j’apprends par ma femme, fervente supportrice de Sea Shepherd, que l’ONG lance une opération « Grindstop 2014 ». Pendant plus de 4 mois, près de 300 militants français et étrangers de l’organisation vont se relayer dans l’archipel pour surveiller l’océan. Objectif : empêcher, par la force s’il le faut, toute chasse de baleines cet été-là.

Etant réalisateur indépendant et connaissant bien le monde audiovisuel, j’obtiens l’autorisation de Sea Shepherd de les suivre dans leur combat. Je prends alors la route avec l’équipe française, composée d’une trentaine de personnes, à bord de leur camping-cars et pick-up tractant leurs tout nouveaux hors-bords.

Sur le trajet j’ai en tête les commentaires et les images diffusés par l’association. Des « habitants hostiles et barbares », un « massacre effroyable », une « Shoah des Dauphins »,  des « Nazis » selon Paul Watson, le leader de Sea Shepherd, fervent partisan de l’action physique qui a quitté Greenpeace parce qu’il trouvait l’ONG trop timide.

Je commence à filmer l’installation et les premiers essais des bateaux. L’organisation de cette opération est impressionnante. Il s’agit pour les bénévoles de surveiller chaque jour des centaines de kilomètres de côtes.

Mais pour mieux comprendre ce qu’il se passe dans ces îles, et encouragé également par les responsables de Sea Shepherd, je décide aussi d’aller à la rencontre de ces fameux barbares jusque là très discrets. Et surprise, les Féringiens m’accueillent bien et sont prêts à me parler de leur tradition. Pour eux, les plages de leurs fjords ne sont ni plus ni moins que des abattoirs à ciel ouvert… Ils m’avouent que tuer des baleines à la main avec des outils primitifs est une pratique effectivement barbare et archaïque. Ils sont prêts à tout assumer et à me raconter.

L’été 2014 n’a connu qu’un seul Grind de 33 baleines au sud de l’archipel. Les bénévoles de Sea Shepherd tentent alors d’intervenir et se font arrêter par l’armée danoise sans avoir pu faire quoi que ce soit pour sauver les cétacés.

N’ayant pas pu filmer cette chasse, et même si je savais que je pourrais utiliser des images de la télévision locale, j’ai décidé de revenir un prochain été pour tenter de l’obtenir. C’est en 2016, après être devenu papa entre temps, que je retourne aux Iles Féroé. La situation a changé : le gouvernement a décidé d’interdire la présence des membres de Sea Shepherd sur le territoire.

C’est le deuxième jour de ma présence qu’un Grind a lieu au nord de l’archipel. Et pas n’importe lequel : plus de 135 baleines seront tuées ce jour-là en moins d’une heure devant ma caméra. Les baleiniers que j’avais rencontrés en 2014 sont présents. J’assiste, comme le disent aussi bien les Féringiens que leurs opposants, à une « véritable boucherie » dans une sorte de chaos organisé qui me laisse stupéfait.

Avec ces images rares et difficiles à obtenir, je sais alors que le film va pouvoir exister.

Pour en savoir plus n’hésitez pas à me contacter!

Si vous avez encore 5 minutes, voici un autre petit teaser

https://vimeo.com/257404667

 

Merci !

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